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Au lit

Pour lire, je ne dois pas être mobile. Exit les voitures, bus et bateaux, voire certains trains si leur trajectoire n’est pas rectiligne. Mais je ne dois pas être immobile non plus. Il me faudra régulièrement lever une tasse ou une fourchette. Je dois être assise. L’angle de mon dos par rapport au sol sera compris entre 80 et 110 degrés. Pas moins, sous peine d’assoupissement, pas plus, sous peine de blocages veineux. Forte de bientôt cinq décennies de lecture, je connais ces conditions, pourtant je n’ai jamais abandonné le rêve de lire au lit. Une bonne heure de lecture chaque soir m’aurait permis de lire tous les classiques, tous les prix Goncourt, tous les russes et tous les autres incontournables de la littérature mondiale. J’ai essayé différentes stratégies, prendre une douche revigorante avant d’aller au lit, me retirer de plus en plus tôt, illuminer ma chambre avec une ampoule rotative multicolore disco, je n’ai jamais pu terminer un paragraphe. Je retente et j’échoue quotidiennement. Dès que je suis installée au lit, la couette remontée sous les aisselles, la tête relevée sur des coussins, les lettres se mélangent à mes souvenirs de la journée pour former des hallucinations chaotiques. Le livre me tombe des mains au moment exact où je passe de veille à sommeil. Si, pour déjouer le sort, je me couche sans livre, l’endormissement est tout aussi rapide mais pas simultané.