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À la cave

C’est n’importe quoi ces boîtes Banana. À force de ne pas les sauver, j’aurai causé leur naufrage définitif. À présent les livres du dessous forment une couche compacte de spores potentiellement volatiles. Feu ces microscopiques champignons se sont grassement nourris des couvertures et des pages, faisant disparaître les noms des autrices ou des auteurs, les titres, les genres, les éventuels chiffres de ventes, prix remportés ou avis de célébrités. (Jamais lu un livre aussi beau. Un enchantement). Les livres du dessus ont échappé à la désintégration. L’eau s’est contentée de remonter en eux par capillarité, gondolant leurs pages, estompant leurs lettres, fonçant leur papier. Je me souviens de cette inondation, de l’excitation qu’elle avait générée en moi, les seaux, les serpillères, l’évènement qui accélère tout à coup la vie, le dramicule provisoire. Nous avions emménagé ici quelques semaines plus tôt, laissant une partie de nos affaires non déballées dans notre nouvelle cave. Elle ne nous avait pas semblé si exposée aux grands mouvements d’eau. Quelques-uns de nos meilleurs tableaux sont restés délavés de cette époque et notamment deux coqs peints par une cousine britannique. Nous n’avions pas touché aux boîtes Banana détrempées, préférant sauver d’autres choses, en acquérir de nouvelles. Entre-temps, les pages ont été colonisées et métabolisées par ce drôle de champignon, cette fourrure, qu’on dirait composée de minuscules akènes de pissenlits, et qui, en séchant, laisse pour la postérité une poudre silencieuse.