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Aux puces

Une fois le manuscrit terminé et accepté par la maison d’édition, il se destine, dans la plupart des cas, à rejoindre une collection déjà existante. Son aspect est déjà arrêté, sauf peut-être pour l’illustration de couverture. Si le texte est publié hors collection, la maison d’édition peut tout reprendre à zéro, format du futur livre, typo, reliure, couverture, miroir de page, ainsi que de nombreux détails qui, pour elle, n’en sont pas. Le livre d’artiste représente la quintessence de cette liberté, l’objet et ce qu’il contient étant liés par le sens. La maison d’édition expédie le bon à tirer final chez l’imprimeur avec mention du nombre de copies désirées. Les invendus finiront au pilon. Ils y seront mélangés à la pulpe à peine refroidie de leurs prédécesseurs. Si nous en achetons un exemplaire, le circuit du livre sera rémunéré et notre nouvelle acquisition ira rejoindre nos rayonnages. Elle y restera quelques jours, années ou décennies avant d’être redirigée vers une boîte à livres ou une déchetterie. Dans mon village, celles-ci sont séparées d’une cinquantaine de mètres. Parfois nous pouvons voir des gens, un sac de livres à la main, hésiter longuement entre les deux. 

Autre possibilité, le marché des livres d’occasion. Il nous arrive, à nous les auteur.e.s, de trouver un exemplaire de l’un de nos livres dans ce circuit. C’est à la fois bon et mauvais signe. Cela signifie que le livre avait suffisamment de valeur pour être revendu, mais pas assez pour être gardé. J’ai ainsi eu la chance/malchance de trouver un de mes livres chez un bouquiniste des puces. Il était dédicacé à une certaine Hélène. Mon mécanisme de déni de la réalité s’est aussitôt réveillé. Le même qui m’a tant aidée lors de mes premiers pas dans le monde de la séduction. Nous n’avions pas de téléphones portables à l’époque et nous devions attendre à côté du téléphone que l’amant potentiel (ou consommé) nous rappelle. S’il ne le faisait pas, comme c’était généralement le cas, je ne trouvais qu’une seule explication valable après avoir éliminé toutes les autres, le pauvre homme était mort. (Or il y en a eu un certain nombre et la mort n’en a jamais empêché un seul de me rappeler.) La pauvre Hélène était donc sans doute morte (mon livre à la main) et le contenu de son appartement avait été liquidé.