Dans le couloir
Je suis traversée d’histoires dans lesquelles un père (moins souvent une mère) fait don à son enfant du livre qui changera sa vie. C’est arrivé souvent avec des romans de Jack London, par exemple. Mais moi je ne tiens pas particulièrement à ce que ma fille lise Jack London, je veux qu’elle lise Le scaphandre et le papillon. Cela fait des années, presque une décennie, que je lui recommande ce récit de Jean-Dominique Bauby paru en 1997. Victime d’un accident vasculaire qui l’a paralysé complètement hormis une paupière, il a dicté son récit depuis son lit d’hôpital. Ce livre me reste si bien en mémoire que je suis persuadée de son potentiel transformateur. Les livres marquants ont beau avoir été nombreux dans ma vie, c’est sur lui que j’ai cristallisé tous mes espoirs de passation, à tel point qu’il en pulse. J’imagine ses bienfaits sur ma fille, ses assouplissements. Chaque fois qu’elle passe devant le rayonnage du couloir où il est rangé, je perçois chez elle un léger mouvement de recul pour l’éviter. Elle se remémore certainement toutes les fois où, affichant l’air le plus neutre possible, j’ai essayé de l’appâter, soit en lui tendant le livre, soit en faisant semblant de le trouver par hasard. Ce n’est pas rationnel, bien sûr. D’ailleurs cela fait une ou deux années que l’affaire reste dormante. L’autre jour, elle cherchait un livre à lire. J’ai bondi sur l’occasion et lui ai tendu Le scaphandre et le papillon.
– Tiens, celui-ci pourrait te plaire, ai-je dit en toute sobriété.
– Je ne suis pas complètement amnésique, maman. Ça fait des siècles que tu essaies de me le refiler. En plus, je l’ai lu.
- Auteur-e-s Laurence Boissier
- Date de publication 24 mars 2020