< retour au site

Où tu veux

Voici la vingtième et dernière chronique de ce carnet de lecture. À poursuivre, sous une autre forme peut-être, après la pause estivale. J’aimerais remercier Marie-Claire Grossen, pour ses corrections, les éditions art&fiction, pour m’avoir hébergée sur leur site, Robin Hood (du collectif de dessinateurs Marie-Louise), Philippe Fretz, Julia Sørensen et Flynn Maria Bergmann pour leurs dessins.

Ce parallélépipède rectangle est un livre. En fait, il s’agit d’une pile de feuilles attachées sur un côté (la reliure). L’idée consiste à retourner toute la pile feuille par feuille. Tiens le livre dans ta main droite, en appuyant sa reliure contre les coussinets de ta ligne de vie. Vérifie que les lettres sur la feuille cartonnée du dessus (la couverture) sont à l’endroit. Lis-les. Soulève la couverture en la crochant du bord de ton pouce gauche. Répète le même geste autant de fois qu’il y a de feuilles. Tu verras, le livre a une tendance naturelle à vouloir se refermer. Maintiens-le ouvert en pinçant la pile de gauche entre l’index et le majeur de ta main gauche, et celle de droite entre le pouce et l’index de ta main droite. Tout le long, tu travailles avec deux piles selon le même principe, tu soulèves, tu pinces, tu lis, tu soulèves, tu pinces, tu lis. Celle de droite diminue peu à peu alors que celle de gauche augmente. Alternativement, tu peux poser le livre sur une table pour pouvoir faire autre chose avec tes mains. Maintiens-le ouvert à l’aide d’un objet assez lourd, une assiette, une planche à pain, que tu déplaces chaque fois que tu tournes une page.

Dans le bain, tu peux tenir le livre et tourner les pages d’une seule main si l’autre est mouillée. Pour ce faire, supporte la tranche du livre avec trois doigts de ta main gauche (index, majeur, annulaire) pendant que ton pouce et ton auriculaire le maintiennent ouvert. Au moment de tourner la page, sépare-la de la pile de droite avec l’ongle de ton auriculaire. Aide-toi d’un mouvement glissant du pouce. Cela demande un peu de dextérité. Certaines personnes se résignent à tourner la page avec leur main mouillée bien que le papier ne soit généralement pas imperméable.

En cas de pause, retourne le livre tel quel sur n’importe quelle surface plane. Les deux piles tomberont depuis la reliure en forme de tente. Cependant, pour ne pas l’abîmer, il vaut mieux laisser un bout de papier ou de carton là où tu as arrêté ta lecture (arraché à ton paquet de céréales par exemple) avant de rassembler les pages les unes sur les autres pour obtenir à nouveau une seule pile groupée, avec, à l’intérieur, tous les mots qui te sont destinés.

Dans ma chambre d’enfant

Mon premier livre était un Oui-Oui, publié dans la collection Bibliothèque Rose. Mon deuxième aussi, et ainsi de suite. Je ne sais pas combien j’en ai lu. J’aimerais savoir quels dégâts ont été causés. J’aimerais savoir quelles sont les séquelles sur mon cerveau. Je me souviens que, dans Oui-Oui, les voleurs avaient la peau noire. Suite à une rectification, ils sont maintenant verts. Après Oui-Oui, je suis passée aux Club des cinq, également signés Enid Blyton. Elle en tapait un seul volume, soit environ quarante-cinq mille mots, en une semaine sur sa machine à écrire. Les auteurs les plus productifs tournent généralement autour de cinq cents à mille mots par jour. Le rythme infernal d’Enid Blyton implique de ne pas être dérangée de toute la journée et surtout pas par ses propres enfants. Ses deux filles ne se sont pas du tout reconnues dans le portrait idyllique que leur mère, mondialement connue, a voulu donner de sa vie de famille à son public. On la suspecta de faire écrire ses livres par une armée de prête-plume. Or, c’est pire, elle les a tous écrits elle-même, exigeant un silence absolu dans sa maison et même dans celles du voisinage. Soit elle était un véritable génie des lettres, soit elle a trop écrit. 

Je remonte les années. Je m’introduis dans la chambre de la petite fille que j’étais, m’approche de sa bibliothèque. Je fais disparaître les Oui-Oui et les remplace par… par quoi ? Princesses secrètes ? L’école des licornes ? Princesse Academy ? Mariage de princesse ? Cinquante ans ont pourtant passé au royaume de la Bibliothèque Rose. Je regarde la petite fille endormie. Elle a six, sept ans. Elle arrive à lire un livre entier toute seule et sans aide. D’ailleurs elle s’est endormie avec. Est-ce un Oui-Oui ? J’essaie de distinguer la couverture. Je ne veux pas la réveiller mais j’insiste absolument pour savoir si c’est un Oui-Oui. Je me penche pour saisir son épaule et dégager le livre. Ma main ne rencontre que du vide. La petite fille s’est évaporée.

Aux puces

Une fois le manuscrit terminé et accepté par la maison d’édition, il se destine, dans la plupart des cas, à rejoindre une collection déjà existante. Son aspect est déjà arrêté, sauf peut-être pour l’illustration de couverture. Si le texte est publié hors collection, la maison d’édition peut tout reprendre à zéro, format du futur livre, typo, reliure, couverture, miroir de page, ainsi que de nombreux détails qui, pour elle, n’en sont pas. Le livre d’artiste représente la quintessence de cette liberté, l’objet et ce qu’il contient étant liés par le sens. La maison d’édition expédie le bon à tirer final chez l’imprimeur avec mention du nombre de copies désirées. Les invendus finiront au pilon. Ils y seront mélangés à la pulpe à peine refroidie de leurs prédécesseurs. Si nous en achetons un exemplaire, le circuit du livre sera rémunéré et notre nouvelle acquisition ira rejoindre nos rayonnages. Elle y restera quelques jours, années ou décennies avant d’être redirigée vers une boîte à livres ou une déchetterie. Dans mon village, celles-ci sont séparées d’une cinquantaine de mètres. Parfois nous pouvons voir des gens, un sac de livres à la main, hésiter longuement entre les deux. 

Autre possibilité, le marché des livres d’occasion. Il nous arrive, à nous les auteur.e.s, de trouver un exemplaire de l’un de nos livres dans ce circuit. C’est à la fois bon et mauvais signe. Cela signifie que le livre avait suffisamment de valeur pour être revendu, mais pas assez pour être gardé. J’ai ainsi eu la chance/malchance de trouver un de mes livres chez un bouquiniste des puces. Il était dédicacé à une certaine Hélène. Mon mécanisme de déni de la réalité s’est aussitôt réveillé. Le même qui m’a tant aidée lors de mes premiers pas dans le monde de la séduction. Nous n’avions pas de téléphones portables à l’époque et nous devions attendre à côté du téléphone que l’amant potentiel (ou consommé) nous rappelle. S’il ne le faisait pas, comme c’était généralement le cas, je ne trouvais qu’une seule explication valable après avoir éliminé toutes les autres, le pauvre homme était mort. (Or il y en a eu un certain nombre et la mort n’en a jamais empêché un seul de me rappeler.) La pauvre Hélène était donc sans doute morte (mon livre à la main) et le contenu de son appartement avait été liquidé.

Sur scène

Ça y est, j’ai lu dix pages de En attendant Godot. Au milieu. Un jour, certainement, je compléterai avec toutes les pages d’avant et toutes celles d’après. Ma fille devait mettre en scène et jouer ce passage avec deux camarades. J’étais chargée de le lui faire réciter. Elle était Estragon, moi Vladimir (voix grave) et le garçon (voix aigüe). Les décors furent réalisés en une après-midi de bricolage. Notre grande girafe en raphia de Madagascar fut détrônée de sa place à côté de la télévision et emballée de papier kraft noir et de scotch. À la place de ses deux mignonnes petites cornes, trois longues branches pendaient. Ce spectre végétal était éclairé par une lune en Sagex grêlé contenant un phare à vélo. Leur adaptation fut un succès, je crois. Ensuite les éléments du décor restèrent quelque temps à l’école. Une fois le phare à vélo éteint, la lune ne fut plus considérée comme un objet de culture et probablement jetée. Ma fille a ramené l’arbre et l’a posé tel quel dans notre séjour. Par principe éducatif, son père et moi avons attendu qu’elle consente à déshabiller notre girafe de ses attributs littéraires pour la rendre à sa fonction première de symbole de notre passé aventurier. Un passé avant l’arrivée des enfants, fait de voyages à deux, de baobabs souriants et de marchés colorés. La demande nous semblait raisonnable, notre point de vue inattaquable. Pour notre fille cependant, l’arbre représentait tout autre chose, ses débuts sur les planches, un haut fait de bricolage, le décodage laborieux d’une pièce maîtresse de la littérature. En comparaison, notre girafe ne faisait pas le poids. 

Entre les pages

Trouvé trois cents dollars dans À la recherche du temps perdu. Je les ai longtemps cherchés. Je n’avais pas ouvert le livre par hasard mais parce que je venais d’acheter Proust, prix Goncourt, une émeute littéraire de Thierry Laget. Geste spontané, mystérieux, sans doute guidé par un besoin d’appartenance. J’aime bien l’idée d’acquérir une certaine culture littéraire sans avoir à réellement lire les grands classiques. Malheureusement, je me suis rapidement rendu compte que le fait de n’avoir pas lu Du côté de chez Swann constituait un véritable handicap. J’ai posé le Proust et le Thierry Laget sur ma table de chevet. Cela signifie « à lire », mais finit par être bien souvent l’équivalent de « à épousseter ». Ils y seraient encore intouchés si un troisième évènement n’était pas survenu. Lors d’une rencontre littéraire, quelqu’un a évoqué Proust. Comme toujours dans ce genre de situation, j’ai hoché d’un air savant, et bien sûr ça s’est tout de suite vu que je ne l’avais pas lu. Le soir même, j’ouvrais La Recherche et je lisais le fameux incipit dans le texte pour la première fois. Mais l’objet est lourd, un kilo six cents grammes. Gallimard a voulu publier tous les tomes « pour la première fois en un seul volume », ce qui ne me paraît pas une si bonne idée. En plus, certaines pages ne sont soulagées d’aucun retour à la ligne. Ce matin j’ai pris mon petit-déjeuner avec, tentant la traversée de la page 24. Je me suis retrouvée plongée dans le bassin olympique de la piscine des Vernets à Genève, bras et jambes battant l’eau, sans perspective de rejoindre rapidement le bord, perdue au milieu de cette vaste étendue d’eau. J’ai émergé au bas de la page à bout de souffle. Ensuite je suis retournée dans ma chambre reposer LaRecherche par-dessus le Thierry Laget.

Au lit

Pour lire, je ne dois pas être mobile. Exit les voitures, bus et bateaux, voire certains trains si leur trajectoire n’est pas rectiligne. Mais je ne dois pas être immobile non plus. Il me faudra régulièrement lever une tasse ou une fourchette. Je dois être assise. L’angle de mon dos par rapport au sol sera compris entre 80 et 110 degrés. Pas moins, sous peine d’assoupissement, pas plus, sous peine de blocages veineux. Forte de bientôt cinq décennies de lecture, je connais ces conditions, pourtant je n’ai jamais abandonné le rêve de lire au lit. Une bonne heure de lecture chaque soir m’aurait permis de lire tous les classiques, tous les prix Goncourt, tous les russes et tous les autres incontournables de la littérature mondiale. J’ai essayé différentes stratégies, prendre une douche revigorante avant d’aller au lit, me retirer de plus en plus tôt, illuminer ma chambre avec une ampoule rotative multicolore disco, je n’ai jamais pu terminer un paragraphe. Je retente et j’échoue quotidiennement. Dès que je suis installée au lit, la couette remontée sous les aisselles, la tête relevée sur des coussins, les lettres se mélangent à mes souvenirs de la journée pour former des hallucinations chaotiques. Le livre me tombe des mains au moment exact où je passe de veille à sommeil. Si, pour déjouer le sort, je me couche sans livre, l’endormissement est tout aussi rapide mais pas simultané.

Sur l’île déserte

Alors que j’étais en visite dans une classe du cycle d’orientation pour y présenter un de mes bouquins, une élève m’a demandé quel livre j’emmènerais sur une île déserte. Calvin et Hobbes, ai-je choisi, de Bill Watterson. Le talent de ce petit garçon pour donner vie à son tigre en peluche me semble des plus utiles en cas de solitude prolongée. J’ai retourné la question à la jeune fille. Robinson Crusoé, m’a-t-elle répondu, pour m’inspirer de ses trucs de survie. Mike Horn ! a renchéri une autre. À partir de là tout le monde s’est mis à parler en même temps. Selon toute logique, ce devait être un livre qu’on avait déjà lu, par exemple un bon vieux Hunger Games de Suzanne Collins ou un bon vieux Cherub de Robert Muchamore. Sans ça, impossible de savoir si on aimerait le relire indéfiniment. Les seize albums des Mondes d’Aldébaran, a-t-on suggéré au fond de la classe. Exclu, ont réagi des camarades, sur l’île déserte on n’aura le droit qu’à un seul volume par personne. D’ailleurs, les bandes dessinées sont bien trop lourdes. Certes, mais alors que fait-on de mon Calvin et Hobbes ? J’ai plaidé sa cause, étant donné qu’il n’a pas de couverture cartonnée. De toute manière, a-t-on décidé, on peut tout à fait prendre plusieurs livres avec soi dans le bateau et faire le choix final juste avant le naufrage en éliminant les plus lourds. Quid alors de celles et ceux qui changeraient d’avis pendant le voyage au sujet de leur livre préféré ? Il arrive que l’on parte avec une valise pleine de vêtements pour finalement ne rien avoir à se mettre, dit une jeune fille. Sur les bateaux de croisière, proposa-t-on, il y a toujours une bibliothèque remplie de livres laissés par les passagers. Si c’est comme dans les hôtels, alors on y trouvera surtout du Stephen King et du Ken Follett, ai-je indiqué en essayant de couvrir le brouhaha. Ces auteurs leur étant largement inconnus, il a fallu les remplacer par Suzanne Collins et Robert Muchamore. La question de l’éloignement entre la bibliothèque de bord et les canots de sauvetage s’est alors posée. Fallait-il avoir emprunté les livres par avance ou pouvait-on le faire pendant l’évacuation du navire ? Une jeune fille s’est animée à ce moment de la discussion et a décrété que si Suzanne Collins ou Robert Muchamore étaient eux-mêmes passagers sur le bateau de croisière, ils pourraient continuer à écrire sur l’île, ce qui serait beaucoup plus efficace pour tout le monde. Et durable.

Nulle part

Ça y est, je n’ai rien à lire. Le soir, je me couche sans entrain. Le matin, je prends mon petit-déjeuner en relisant le Bon à savoir. Ces transitions entre veille et sommeil, le pain au chocolat du goûter, un trajet en train, la parenthèse d’une salle d’attente, mes moments de pause lecture n’ont plus le même charme. Difficile d’expliquer cette vacance alors que mon appartement est plein de livres que je n’ai pas encore lus, certains délibérément présélectionnés. Il y a aussi cette liste de livres recommandés par des amies ou prescrits par des journalistes. Mais, à peine refermé, un livre aimé fait exploser la pile et la liste. Il est impossible de revenir aux envies d’avant pendant que mon inconscient digère le livre aimé. Je n’ai rien à lire.

Pourtant je ne voudrais pas retourner trop vite à cet état suspendu où plus rien n’a réellement d’importance comparé à la relation entre Winter et Alex. Winter est née en Inde au début du dix-neuvième siècle d’une mère britannique et d’un père espagnol. Les deux sont morts, elle en couche, lui du choléra. L’orpheline de dix-sept ans est confiée à Alex, un officier de l’armée britannique, pour qu’il la convoie jusqu’à la demeure de son futur époux, un homme affreux adepte de la bouteille. S’ensuivent de nombreux rebondissements. J’ai rebondi avec tout en sachant l’histoire habilement narrée et issue de l’imagination d’une auteure à succès, M. M. Kaye. Pendant cinq jours, j’ai comploté contre le temps pour finir le livre. Me voyant moins active que d’habitude, les membres de ma famille m’ont déclarée malade. Je ne les ai pas détrompés. Toutes les ruses pour avoir la paix me semblaient justifiées. Et maintenant voilà, bien fait pour moi, j’ai fini le livre.

À la cave

C’est n’importe quoi ces boîtes Banana. À force de ne pas les sauver, j’aurai causé leur naufrage définitif. À présent les livres du dessous forment une couche compacte de spores potentiellement volatiles. Feu ces microscopiques champignons se sont grassement nourris des couvertures et des pages, faisant disparaître les noms des autrices ou des auteurs, les titres, les genres, les éventuels chiffres de ventes, prix remportés ou avis de célébrités. (Jamais lu un livre aussi beau. Un enchantement). Les livres du dessus ont échappé à la désintégration. L’eau s’est contentée de remonter en eux par capillarité, gondolant leurs pages, estompant leurs lettres, fonçant leur papier. Je me souviens de cette inondation, de l’excitation qu’elle avait générée en moi, les seaux, les serpillères, l’évènement qui accélère tout à coup la vie, le dramicule provisoire. Nous avions emménagé ici quelques semaines plus tôt, laissant une partie de nos affaires non déballées dans notre nouvelle cave. Elle ne nous avait pas semblé si exposée aux grands mouvements d’eau. Quelques-uns de nos meilleurs tableaux sont restés délavés de cette époque et notamment deux coqs peints par une cousine britannique. Nous n’avions pas touché aux boîtes Banana détrempées, préférant sauver d’autres choses, en acquérir de nouvelles. Entre-temps, les pages ont été colonisées et métabolisées par ce drôle de champignon, cette fourrure, qu’on dirait composée de minuscules akènes de pissenlits, et qui, en séchant, laisse pour la postérité une poudre silencieuse.

Tout en bas

Tout en bas nous avons les gros livres, les livres de culture, les atlas. Si nous avions des dictionnaires, nous les mettrions là. Nous aimons les dictionnaires mais nous ne nous sommes pas encore décidés pour l’un ou pour l’autre. Le dictionnaire culturel ? Le dictionnaire historique de la langue française ? Si nous avions des encyclopédies, nous les mettrions là. Nous aimons les encyclopédies mais nous ne nous sommes pas encore décidés pour l’une ou pour l’autre. L’encyclopédie des religions ? L’encyclopédie des arts ? Tout en bas, nous avons également rangé les livres d’artisanat, mais seulement jusqu’à un certain point. Les livres carrément techniques, par exemple sur la construction (système de ventilation, chauffage, toiture, sanitaires), sont restés dans les cartons. La limite peut sembler claire, elle ne l’est pas. Que faire, par exemple, d’un livre sur la construction de murs en pierre sèche ? Si je promène mon regard sur ces tranches, je vois passer ma vie et celle de mon mari, nos pics culturels, nos flammes. Voici un livre sur le vitrail, un autre sur la céramique, puis c’était le papier mâché, la peinture sur soie, la broderie… À chaque fois, je m’étais imaginé que la flamme donnerait un feu. Je me voyais déjà dans mon futur atelier, penchée sur mon travail, entourée de mon outillage, de mes matériaux, d’un chat ou deux, vêtue d’un pull à col roulé en grosse laine. Je pensais aussi acquérir la main verte, apprendre à jouer du piano, comprendre l’univers. Toutes ces compétences sont restées enfermées, tout en bas, en un condensé de rêves avortés.  

En Uttar Pradesh

Me voyant arriver dans sa chambre, ma mère lève les yeux à contrecœur. Je me penche sur l’écran de sa liseuse.

Zemindar ? je demande.

– Oui, Zemindar. Tu sais, il y a tout dans ce bouquin.

Et elle se replonge dedans.

– Mais tu l’as lu combien de fois, maman, quinze ? vingt ?

– Impossible de m’en lasser, ajoute-t-elle. Tu ne peux pas comprendre.

Pourtant si, je comprends. Je l’ai lu. Écrit par Valérie Fitzgerald, il se passe en Inde pendant le Raj britannique. Il raconte une histoire d’amour entre une dame de compagnie anglaise et un riche propriétaire terrien, également anglais, mais qui a adopté un mode de vie indien. Au début, la dame de compagnie se croit amoureuse d’un autre homme, le fiancé de la jeune femme qu’elle accompagne. Lentement, elle se rend compte que, sous ses airs hostiles, le riche propriétaire terrien est un homme bien et que c’est lui l’amour vrai. Ils se rapprochent sur fond de révolte des cipayes et survivent au siège de Lucknow. Pour être honnête, ce livre, je ne l’ai pas lu, je l’ai dévoré.

Ma mère reprend sa lecture pendant que je lui fais un thé. Elle a adapté la taille de caractères à ses yeux. L’écran de sa liseuse ne contient que quelques phrases à la fois. En l’effleurant de droite à gauche, elle tourne les pages à toute vitesse. Elle m’oublie. Elle est en Inde dans la poussière du fort de Lucknow assiégé par les rebelles. Elle panse les blessures de ses compatriotes avec ses jupons qu’elle déchire l’un après l’autre. Elle mange du rat. La fumée de la cigarette qu’elle tient d’une main est celle de la poudre à canon des assiégeants qui tirent en direction du fort. La tasse de thé que je pose près d’elle est remplie de l’eau trouble qui stagne au fond de l’unique réservoir. Les roues d’un tracteur passant sous ses fenêtres sont celles du char qui transporte les morts vers la fosse. Le récit de ma journée ne fait pas le poids. Je m’éclipse modestement.

À la bibliothèque municipale

– C’est quand même dingue, je dis à mon fils, que tu ne fasses jamais rien.

Il est là, vautré dans le canapé, grandes mains, longs tibias, après avoir laissé derrière lui une traînée de désordre. Pour avoir beaucoup fréquenté le rayon « psychologie adolescents » de la bibliothèque municipale, je sais qu’il a besoin de structure. Je lui énonce une liste concise de tout ce qui doit être fait.

– Un, mettre le couvercle sur le pot de Nutella, deux, le scotch dans le tiroir, trois, ranger les baskets dans l’entrée, quatre, remettre le lait au frigo, cinq, refermer la porte du frigo.

– Qui a ouvert le pot de Nutella? Me répond-il. Qui a sorti le scotch du tiroir ? Flanqué les baskets au milieu du séjour ? Sorti le lait du frigo? Tout ça c’est moi qui l’ai fait alors tu ne peux pas me dire que je ne fais jamais rien.

– Bravo, je vois tout ce que tu fais (les adolescents ont besoin d’être encouragés). C’est merveilleux. Mais tu pourrais être encore plus actif. Et ton travail scolaire ? Il en est où ? J’espère que tu es en train d’apprendre ton vocabulaire d’allemand sur ce téléphone.

– Dans l’impasse, malheureusement. Certains professeurs n’ont plus le feu sacré, tu sais.

Les raisonnements de ma fille ne sont pas moins remarquables. Sa philosophie se résume en un seul mot : « après ». Le porte-à-faux existentiel est garanti avec toutes celles et tous ceux qui ne s’alignent pas sur cette logique. Sa vaisselle, par exemple, sera toujours nettoyée « après ». 

– Et pourquoi tu ne demandes pas à ta fille, ajoute mon fils, de ranger son bordel ?

Pour avoir beaucoup lu sur le sujet, je sais ce qu’il faut faire pour juguler ces tensions chroniques. Il faut dépassionner. À la manière de certains parasites, les ados sont équipés de très longues antennes. Ils sentent immédiatement si leur parent souffre de stress éducatif et alors on ne peut plus rien en tirer du tout. Pour moi, cette prise de conscience a été un tournant. Peu à peu, j’essaie de me débarrasser de mes enjeux. C’est-à-dire que, comme d’habitude, je fais tout, pendant qu’eux, comme d’habitude, ne font rien. Mais je le fais en ressentant un immense bonheur. Je n’exclus pas de refaire, toutefois, un petit tour au rayon « psychologie adolescents » de la bibliothèque municipale. 

Dans la vieille ville de Berne

En tant que Genevoise je n’oublie pas qu’il y a mille cinq-cents ans, ma ville était la capitale des Burgondes, alors il m’arrive de me demander pourquoi Genève n’est pas la capitale de la Suisse. Pourtant quand je vais à Berne et que je vois ces hauts ponts majestueux qui se jettent par-dessus la rivière, je mesure à quel point ils sont plus audacieux que les ponts de Genève, sous lesquels tu ne fais même pas passer un bateau. En sortant de la gare, je remarque tout de suite la couleur particulière de la ville, ce mélange élégant de gris et de vert, la fameuse molasse de Berne, celle que les Genevois sont venus chercher pour construire quelques-uns de leurs propres bâtiments. En passant sous les arcades de la vieille ville, protégée par l’UNESCO, je comprends pourquoi on nous a obligés à apprendre l’allemand pendant toutes ces années et même un peu de suisse allemand. Et là, entre le Puppen Theater et le café Alpin, je fais encore une de mes crises. Elles sont récurrentes, violentes, profondes. Comme une somnambule, je me rends directement chez Stauffacher, une librairie étalée en largeur sur deux bâtiments et en hauteur sur quatre étages. J’espère y trouver un nouvel épisode des aventures de Detektiv Müller. Ce détective pantouflard ne fait jamais rien de compliqué parce que le scénario de ses enquêtes est adapté à des personnes qui apprennent l’allemand niveau A1 à B1. Detektiv Müller est présumé être un tremplin vers des lectures plus difficiles. Étant donné que je n’apprends l’allemand que par crises, je n’ai jamais eu accès à ces lectures plus difficiles. Ma satisfaction à la lecture d’un épisode des aventures de Herr Müller me fait parfois suspecter que je refuse inconsciemment le moindre progrès en allemand pour ne pas avoir à lire autre chose. Joie ! En voici un, Verschwunden in Neuschwanstein que je n’ai pas encore lu ! 

De mon côté du lit

Mon ego achète des livres à ma place et les empile sur ma table de nuit. Récemment, il a acheté le livre que Barack Obama avait recommandé au monde et Les routes de la soie, un pavé écrit par Peter Frankopan en tout petit, serré, et sur du papier fin. 

– Tu vas voir, me dit mon ego, tu apprendras plein de choses sur la géopolitique et tu pourras en parler dans les dîners.

– Mais je ne suis pas invitée à des dîners !

– Ouais. Justement. Commence par lire Les routes de la soie.

Au séjour

Je ne comprends pas du tout pourquoi Trésors de l’Égypte ancienne arbore une pastille jaune sur sa quatrième de couverture. Je me souviens qu’il m’a été offert par mon frère pour mon anniversaire. Il avait été généreux et perspicace puisqu’il avait eu vent de mon intérêt pour l’Égypte ancienne, déclenché par la lecture de Sinouhé l’Égyptien. Je vais devoir décoller la pastille jaune et la remplacer par une rouge. Avec mon mari, nous avons élaboré ce système très simple pour partager nos biens en cas de divorce. En termes de diminution du stress, ça marche, la preuve, nous sommes encore ensemble. Parfois nos enfants se sont moqués. Il leur est arrivé d’apparaître avec une pastille jaune ou rouge sur le front en signe d’allégeance (provisoire) à l’un de nous. Par contre, aucun doute, ce livre est à moi, ce qui rend très étrange, voire suspecte, la pastille jaune qui a été collée dessus. Elle m’oblige à faire le tour de l’appartement pour vérifier toutes les pastilles, à me tordre sous les meubles, les éloigner du mur, retourner les coussins du canapé. Je trouve d’autres anomalies, par exemple, dans le cas de cette commode, une pastille jaune dans un tiroir, une pastille rouge dans un autre. En plus, je dois vérifier tous les livres de la bibliothèque parce que les livres sont chers et que personne ne souhaite vivre avec des rayonnages vides suite à un divorce. La présence de livres permet de diminuer la réverbération dans une pièce sans tapisseries, de créer une ambiance chaleureuse mais aussi d’épater les nouvelles connaissances, d’où l’enjeu eu égard à leur attribution. Je n’aimerais pas du tout que mon mari me laisse en plan, par exemple, avec tous nos livres sur le couple.

Dans le couloir

Je suis traversée d’histoires dans lesquelles un père (moins souvent une mère) fait don à son enfant du livre qui changera sa vie. C’est arrivé souvent avec des romans de Jack London, par exemple. Mais moi je ne tiens pas particulièrement à ce que ma fille lise Jack London, je veux qu’elle lise Le scaphandre et le papillon. Cela fait des années, presque une décennie, que je lui recommande ce récit de Jean-Dominique Bauby paru en 1997. Victime d’un accident vasculaire qui l’a paralysé complètement hormis une paupière, il a dicté son récit depuis son lit d’hôpital. Ce livre me reste si bien en mémoire que je suis persuadée de son potentiel transformateur. Les livres marquants ont beau avoir été nombreux dans ma vie, c’est sur lui que j’ai cristallisé tous mes espoirs de passation, à tel point qu’il en pulse. J’imagine ses bienfaits sur ma fille, ses assouplissements. Chaque fois qu’elle passe devant le rayonnage du couloir où il est rangé, je perçois chez elle un léger mouvement de recul pour l’éviter. Elle se remémore certainement toutes les fois où, affichant l’air le plus neutre possible, j’ai essayé de l’appâter, soit en lui tendant le livre, soit en faisant semblant de le trouver par hasard. Ce n’est pas rationnel, bien sûr. D’ailleurs cela fait une ou deux années que l’affaire reste dormante. L’autre jour, elle cherchait un livre à lire. J’ai bondi sur l’occasion et lui ai tendu Le scaphandre et le papillon.
– Tiens, celui-ci pourrait te plaire, ai-je dit en toute sobriété.  
– Je ne suis pas complètement amnésique, maman. Ça fait des siècles que tu essaies de me le refiler. En plus, je l’ai lu.

Dans le train de nuit

J’avais douze ans. Avec mon frère nous avions passé deux semaines à Toulouse chez des amis de la famille. Je les aimais beaucoup. La mère était une femme enjouée et curieuse. Je ne me souviens plus de tout ce qu’elle accomplissait. À mes yeux d’enfant, son gâteau à l’ananas éclipsait ses autres hauts faits. Le dernier soir de notre séjour, elle nous a laissés dans le train de nuit pour Genève avec mille recommandations. Elle savait qu’il m’était difficile de trouver le sommeil dans un environnement qui ne m’était pas familier. Voyant que je n’avais rien à lire avec moi, elle a couru m’acheter un livre au kiosque de la gare et me l’a donné avant de m’embrasser. Au revoir, au revoir ! À l’année prochaine ! Nous nous sommes installés pour la nuit et j’ai pris mon livre. Sur la couverture, il y avait un ranch et une jeune femme rousse qui tenait un cheval. J’ai oublié le titre. La mère nous avait organisé un tour à poney. Elle a probablement pensé qu’il s’agissait d’une histoire à la ferme. En réalité, c’était une histoire d’amour de la collection Harlequin. Une histoire d’amour qui allait surpasser celle de Michel Vaillant et Françoise, surpasser aussi celle que je m’étais imaginée entre moi et un jeune homme qui prenait le même bus chaque matin à l’arrêt Mont-Blanc. Il portait un jean aux poches brodées. Au point culminant de mon fantasme, je glissais ma main dans une de ces poches alors que nous étions précipités l’un contre l’autre dans la cohue. J’ai glissé ma main dans cette poche un nombre incalculable de fois. Mais après ce trajet en train, j’ai arrêté parce que ça ne me faisait plus rien. L’histoire que j’avais entre les mains, alors que nous foncions vers Genève allongés dans nos couchettes, a tout balayé. Une histoire d’une efficacité totale dans laquelle les protagonistes commencent par se détester suite à un malentendu. Quelque chose les fâche, quelque chose de suffisamment grave pour que, à leur corps défendant, ils échangent une première étreinte brûlante et contrariée. Ensuite ils passent le reste de l’histoire à gérer les émotions violentes qui les habitent et le désir de posséder le corps de l’autre (pour l’homme), celui d’être possédée par le corps de l’autre (pour la femme). Cette nuit-là, j’ai quitté l’enfance.

Dans la chambre matrimoniale

Contrairement à celle du séjour, plus dynamique, la bibliothèque de notre chambre à coucher est immuable. Quand mon mari ou moi y cherchons un livre à lire, des souvenirs remontent à la vue de certaines couvertures mais d’autres n’évoquent rien. Il me suffit de les feuilleter pour savoir si je les ai lus. Mon mari, lui, doit carrément les relire. « C’est dingue, j’ai l’impression d’avoir lu ce livre dans une autre vie », il s’émerveille. « Et peut-être même que c’est moi qui l’ai écrit », est-il capable de suggérer dans les cas où l’auteur serait mort avant sa naissance. Ainsi en a-t-il été d’Un conte de deux villes de Charles Dickens. Le livre lui semblait si familier qu’il considérait l’hypothèse d’avoir lui-même été Charles Dickens dans une autre vie tout à fait plausible. Il avait plongé dans le roman avec un sentiment d’une intensité rare, se voyant presque évoluer dans les rues de Paris et Londres à l’époque de la Révolution française, jusqu’à ce que, l’excipit venu, il se souvienne qu’il l’avait tout simplement déjà lu. Tout au long de sa progression dans l’histoire, j’imagine que le portail de sa mémoire s’est ouvert de plus en plus grand et que les souvenirs de sa première lecture sont venus se mêler à ceux en train de se fabriquer, créant des harmonies si vibrantes que la déception de n’avoir finalement pas été Charles Dickens dans une autre vie a dû lui paraître facile à digérer.

Dans ma commode

Chaque matin, quand j’ouvre le deuxième tiroir de ma commode, je vois Marie Kondo. Deux choses me sont restées de son best-seller La magie du rangement, ce tiroir à tops (manches longues, manches courtes, débardeurs) et le sentiment merveilleux d’une délivrance possible. En lisant son livre, je me représentais déjà dans ma nouvelle vie désencombrée, garde-robe minimaliste, appartement facile à nettoyer et à maintenir en ordre, balcon débarrassé de son cheni. Pièce par pièce, le superflu allait disparaître. L’être simple et lumineux étouffé par l’économie de marché allait enfin pouvoir émerger de sa chrysalide. Ce livre avait été écrit pour moi.

J’ai commencé par ma garde-robe. Marie Kondo m’a appris à plier mes tops au format livre de poche et à les faire tenir, non pas les uns sur les autres mais les uns à côté des autres, sur leur tranche. Ils tiennent tous dans un seul tiroir. En effet, c’est magique. Après ce succès, il était évident qu’une fois l’entier de l’appartement revisité, une sérénité nouvelle allait constituer le terreau dans lequel mes actions, mes relations, mes décisions, mes humeurs puiseraient leur énergie purificatrice.
Marie Kondo m’avait pourtant prévenue, pour pouvoir vraiment changer de vie, pas de compromis :
– Il faut te montrer impitoyable avec chaque objet qui ne t’apporte pas de bonheur. Cette poule en céramique, par exemple, te rend-elle heureuse ?
Je la prends dans mes mains.  
– Jette la poule, me dit Marie Kondo, jette, Laurence, tu n’es pas ton passé.
– Mais tu comprends, Marie, cette poule a été offerte à ma mère il y a bien longtemps. En emménageant dans sa maison actuelle, elle s’était débarrassée d’une demi-douzaine de poules ménopausées qui occupaient un fort beau poulailler. On ne l’avait plus vue pendant des mois, sauf le jour où elle s’était renversé un pot de Bondex sur la tête. Elle avait fixé des étagères sur les murs et transformé le poulailler en petite bibliothèque. Ensuite, tous ses amis lui offraient des poules décoratives pendant que de nombreux enfants et adolescents s’installaient pour lire dans l’ex-poulailler. Alors moi, je ne peux pas me séparer de cette poule.
– Et cette chose-là alors ?
– Ce n’est pas une chose, Marie, c’est une araignée à trois pattes qui tourne toujours dans le même sens. Regarde, si tu tournes la manivelle… Et ainsi de suite, Marie et moi avons fait le tour du séjour et chaque objet superflu a retrouvé sa place. Après, j’ai laissé tomber. Seul mon tiroir de tops a survécu. Des années après, ils sont encore alignés sur leur tranche

Au Prestige Gourmand

Je me rends au Prestige Gourmand avec Toute ma vie j’ai été une femme de Leslie Kaplan. Il y a là-dedans l’histoire irrésistible d’une femme qui se promène nue sous son manteau. Elle fait tout. Elle va au marché. Elle va boire un café. Elle prend le métro (et même elle s’assied dans le métro). En plus, elle va à ses cours du soir toute nue sous son manteau. Je reviens volontiers à la rue Dancet. J’aime son côté courageux. Quand mes enfants étaient petits, je l’empruntais pour les amener à la crèche. Il y a ici des magasins ouverts envers et contre tout, comme ce merveilleux magasin de bricolage que je peux voir depuis ma place. Si on faisait sauter l’îlot central de la rue, dévolu aux places de parc, un jardin pourrait s’étaler là. On y verrait fleurir des courgettes. Un vol d’amies tintinnabulantes se pose autour de la table à côté de la mienne. Franges, pompons, rubans, galons, surpiqûres et incrustations brillantes, elles sont un hommage au secteur de la passementerie. Elles commandent des renversés avec des croissants, parlent de leurs enfants. D’après les derniers rapports scolaires, l’adolescente de celle-ci serait dissipée.
– Oh, tu sais, diagnostique sa voisine, ta fille, elle vit sur la planète Mars.
– Et elle passe ses vacances sur Jupiter, dit une autre.
– Et ses parents sont originaires de Mercure, précise une troisième avec un regard appuyé vers la mère.
– En plus, elle fréquente un garçon qui vient de Pluton, complète la dernière.
Je sirote mon expresso en replongeant dans mon livre. Leslie Kaplan précise que la femme va même chez son psy, toute nue sous son manteau.